Impressions Normandes

« Impressions Normandes » est le titre d’un programme donné par l’ensemble PTYX à trois reprises en 2025 :

  • pendant le festival Les Musicales de Normandie, en août à Fécamp
  • lors de la saison des concerts de l’Hôpital Bretonneau, à Tours en octobre
  • de manière partielle, lors d’un concert partagé avec l’ensemble vocal L’Atelier en décembre à Saint-Cyr-sur-Loire

- Programme

Dominique Lemaître (né en 1953)
Aux fleurs plus de couleur, plus de vitesse à l’onde (1992)
flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano

Claude Debussy (1962-1918)
La cathédrale engloutie, extrait du Premier Livre des Préludes (1910)
piano

Erik Satie (1966-1925)
La Belle Excentrique — « fantaisie sérieuse » (1920)
Arrangement pour flûte, clarinette, violon et violoncelle
1. Grande ritournelle
2. Marche franco-lunaire
3. Valse du mystérieux baiser dans l’oeil
4. Cancan Grand-Mondain

Dominique Lemaître
Les plis du temps (2024)
flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano
création française

Erik Satie
Véritables Préludes Flasques (pour un Chien) (1912)
piano
1. Sévère Réprimande
2. Seul à la Maison
3. On Joue

Claude Debussy
Prélude à l’après-midi d’un faune — Églogue pour orchestre d’après Stéphane Mallarmé (1894)
Arrangement pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano

Dominique Lemaître
Clepsydres
flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano (1990)

- ensemble PTYX

Pauline Vanagt, flûtes
Antoine Moulin, clarinettes
Pierre Malle, violon
Camille Gueirard, violoncelle
Alice Diéval, piano
Jean-Baptiste Apéré, direction et arrangements

- Présentation

De Houlgate à Fécamp en passant par Honfleur, le concert propose un itinéraire musical géographique et historique dans lequel trois compositeurs se retrouvent pour ainsi dire « côte-à-côte ». Rapprocher des artistes éloignés dans l’espace et dans le temps, c’est témoigner combien le paysage et la nature — on parlera aujourd’hui de territoire et d’environnement — impactent une écriture artistique, sans pour autant céder à la facilité du « cliché ». Debussy aurait-il réussi à composer La Mer sans avoir arpenté les plages de Houlgate ? Oui. D’ailleurs il est en Bourgogne au moment de sa composition et ne posera le pied dans la station balnéaire normande que quelques années plus tard ; ce sont au final des estampes japonaises qui auront plus nourri sa création. Pourtant, comme il l’écrira à André Messager : « L’Océan ne baigne pas précisément les coteaux bourguignons… ! Mais j’ai d’innombrables souvenirs ; cela vaut mieux en mon sens, qu’une réalité dont le charme pèse généralement trop lourd sur votre pensée ».
Les deux préludes debussystes au programme ne dérogent pas à ce postulat que le compositeur a pu recueillir chez Mallarmé : « Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve. ». Cette formule définirait à elle seule l’« impressionnisme », dont le premier jalon musical, le Prélude à l’après-midi d’un faune, est ici proposé dans une réduction en quintette. L’arrangement souligne l’extraordinaire travail thématique sur lequel repose l’architecture d’une pièce qui, bien que regardant les productions chambristes qui la précèdent (Franck, Fauré, Chausson), réussit à instaurer une manière nouvelle de traverser le discours musical : refus du développement au profit de la métamorphose, duplication des motifs, couleurs harmoniques non fonctionnelles, gamme par tons…. Que ce soit dans les profondeurs d’une cité engloutie (Ys ?) ou dans les langueurs d’un faune inassouvi (Pan ?), Debussy s’amuse avec les formes sur fond immobile. Il regarde au loin et scrute au lointain ; l’évasion induite par les bords de mer trouve son expression dans des récits mythologiques antiques ou celtiques d’un autre temps…

Debussy avait beaucoup d’affection pour Satie qu’il qualifiait de « musicien médiéval et doux, égaré dans ce siècle ». Quand on connaît les vieilles rues de Honfleur et leur mélancolie, on imagine le petit homme au parapluie davantage dans la ville, errant à l’abri du vent, qu’exposé aux embruns de la côte. Le natif a quitté la cité normande à douze ans, non sans avoir emmené dans ses bagages des histoires de vieux marin que lui racontait son oncle Sea-Bird, ainsi qu’une éducation musicale orientée vers le plain-chant et les vieux modes grégoriens. Quand il compose ses Véritables préludes flasques (pour un chien) en 1912, la réponse aux Préludes de Debussy — publiés deux ans avant — ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais ici le sérieux des vagues et la poésie des ondes de son confrère ont laissé la place au prosaïsme et à l’humour ; un vulgaire animal domestique est préféré au noble faune. Satie innove néanmoins, lui aussi, à sa manière. Les barres de mesure disparaissent de la partition. Les instructions à l’interprète alternent verbes à l’indicatif, prescriptifs (convaincre, inhiber, aller…), vocabulaire latin parodique (Corpulentus, Paedagogus, Opacus…) et autres signalisations plus ou moins usuelles (Retenir, Avec tristesse, Attentivement…). Le format même, miniature, empêche le discours de s’installer : la plus « longue » pièce avoisine la minute. Le temps est aboli, bousculé, contracté.
Si le maître d’Arcueil est adepte des espaces confinés, il partage avec Debussy une distance avec son sujet. Pour le dire autrement : le motif n’est pas émotif — ni leitmotif ! car les deux français rejetaient, avec déférence, l’héritage wagnérien. Là où le compositeur de Pelléas et Mélisande adopte une approche symboliste, celui de La Belle Excentrique préfère grossir les traits stylistiques, dans le cas présent du music-hall, pour en exagérer l’extravagance (Cancan Grand-Mondain) mais aussi la poésie dadaïste (Valse du mystérieux baiser dans l’œil). On aurait tort de considérer ce cycle à la légère ; Satie le présente comme une « fantaisie sérieuse ». De 1878 à 1900, il revient assez régulièrement à Honfleur passer ses vacances d’été chez son grand-père puis, après la mort de ce dernier, pour revoir ses camarades d’enfance qui le surnomment justement : « l’homme sérieux ».

Quant à Dominique Lemaître, notre « contemporain », il suffira de rappeler ses mots sur ses propres oeuvres pour l’inscrire, lui aussi, dans une musique connectée aux rivages : « le rapport à la géographie locale n’est pas anecdotique. La mer compte beaucoup pour moi. J’ai énormément de sensations qui me viennent du contexte maritime ». Comme ses prédécesseurs, le compositeur fécampois s’intéresse de près aux phénomènes du temps, que ce soit sous l’aspect de son mouvement, sa mesure ou son découpage. Et si cette « plastique sonore » dont parle Nathalie Dumesnil se révèle tout particulièrement dans ses quintettes, c’est peut-être parce qu’elle s’appuie sur trois principes complémentaires d’émission du son : son entretenu ad aeternam par les cordes frottées, son continu mais entrecoupé nécessairement de respirations chez les vents, son attaqué puis s’éteignant pour le piano. Dominique Lemaître joue de ses croisements entre verticalité et horizontalité comme pour quadriller la lecture d’un tableau unique, que l’oeil « décomposerait » peu à peu. Car si le temps paraît presque immobile dans Aux fleurs plus de couleur, plus de vitesse à l’onde, c’est que la dynamique est dans l’échange des timbres et la circulation du son dans l’espace. Dans ce monolithe spectral, le compositeur nous guide en tournant et faisant miroiter un prisme harmonique. Dans Clepsydres, sept épisodes s’enchaînent sans heurt comme autant de variations sur l’apparente contradiction entre un temps mesuré (l’écoulement dans le contenant) et la matière aqueuse (la fluidité du contenu). Enfin, dans Les plis du temps, qui retrouve la même formation instrumentale quarante ans après, Lemaître combine le déploiement en éventail et par couches à l’oeuvre dans Aux fleurs… avec la diffraction presque pointilliste qui traversait certains moments de Clepsydres. Avec un titre qui renvoie autant à la mythologie mallarméenne du « Livre », projet inachevé du poète, qu’à la recherche utopique de Marcel Proust, ce dernier quintette que vous entendez en première audition française révèle un compositeur lui accompli, dont l’exigence et l’évidence de l’écriture musicale ne semblent trouver meilleure résonance que dans l’horizon au-dessus du sempiternel mouvement de l’océan.

- Les podcasts

Les deux émissions questionnent la notion de terroir en musique. Elles permettent de retrouver plusieurs enregistrements du concert ainsi qu’une interview du compositeur Dominique Lemaître. Des compléments (musiques, reportages, lectures, etc). inscrivent le programme dans un contexte historique et musical.

Production : ensemble PTYX / présentation : Jean-Baptiste Apéré

- Le bonus